Mustapha et Sylvie Amalik :

Gîte Aïss

 

    Nous avions pu rentrer en contact avec le gîte Aïss par l'intermédiaire d'Accueil Paysan. Le principe de ce gîte est de mettre en place un tourisme que l'on qualifiera de sensé pour faire simple. Nous voulions donc obtenir des informations sur ce tourisme. Dans un pays comme le Maroc, le tourisme est une rentrée de devises importante, mais au delà, le tourisme, ce n'est pas simplement cela.

    Première constatation, le bâtiment lui-même : panneaux solaires pour l'éclairage, chauffage (au bois) dans une seule pièce (le salon commun), l'eau vient du puit, ... Nous sommes loin des constructions pour touristes qui consomment autant d'énergie que le reste de la ville. Ensuite, le site : le gîte n'a pas été construit pour organiser un tourisme déconnecté de la région, bien au contraire. Enfin, et ce n'est pas des moindres, l'accueil n'est pas un vain mot. Sylvie et Mustapha sont paysans : ils ont quelques bêtes, des cultures, et ce sont ces produits qui sont servis à la table commune. Si vous êtes sages, vous aurez même le droit de jouer aux légos avec leurs filles.

    C'est Sylvie qui nous a accueillis lorsque nous sommes arrivés tout boueux après notre traversée à gué de l'oued. Nous nous sommes rapidement installé. Quand Mustapha est arrivé, nous avons à peu près immédiatement commencer à parler des risques de monoculture de fraises au Maroc, des nouvelles cultures étrangères importées et produites en masse ici pour combler le marché européen tout en abandonnant les cultures traditionnelles qui avaient permis l'autonomie et la subsistance du Maroc jusqu'à présent ...

    Nous vous invitons donc à aller sur le carnet commun y découvrir ce que nous y avons vécu. Nous avons essayer de retranscrire l'entretien que nous avons eu (voir ci-dessous) et les réponses qu'ils ont apportées à nos questions. Si vous voulez rentrer directement en contact avec eux : giteaiss@hotmail.com

 

 

 

 

 

-------------

Extraits de l'entretien :

 

Quels étaient vos objectifs au moment de la création ? Quels sont-ils aujourd'hui ?

 

En fait, au départ, nous ne devions pas faire de l'accueil, on devait faire de l'agriculture. L'agriculture qu'on a lancée s'est cassée la gueule. L'engraissage de mouton, ça n'a pas marché. Après, on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas vivre ici sans rencontrer souvent du monde. On a donc décidé d'accueillir et c'est pour ça que vous êtes là et que vous enregistrez.

 

 

Vous vous êtres rencontrés en France ?

 

M : Oui, moi je suis parti très jeune en France mais je suis natif d'ici. J'ai vécu paisiblement jusqu'à ce que je rencontre ma femme en Savoie, puis on est venu s'installer ici. On a commencé le projet en 94. Ca a continué petit à petit parce qu'on n'avait pas le sou, il a fallu construire les quatre murs, la toiture et ainsi de suite. On n'avait pas le capital nécessaire au départ donc on injectait de l'argent quand on pouvait. Maintenant, on vit de notre activité ici, sept ans après.

La première fois où on a vécu ici, c'était en 96. Le pari économique qu'on avait au départ est réussi, ... ou en voie de réussite.

 

 

Vous arrivez à vivre ici en autonomie ?

 

L'idée de l'autonomie, vue de l'Europe, ça peut sembler extraordinaire, mais ici, 60% de la population est autonome. A savoir pas d'électricité, pas d'eau courante, les gens se débrouillent, transforment leurs aliment, font leurs habits. Pratiquement une autonomie totale. On essaie de s'en rapprocher. Bien entendu, on n'arrivera jamais car on est imprégné par le matérialisme à l'européenne et on gardera toujours ça. C'est la volonté de chacun de vivre dans le confort. Il y a un minimum de choses qu'on garde et puis un maximum dont on se débarrasse. On est plus aspiré au spirituel qu'au matériel. Bien plus.

 

 

 

Est-ce qu'il y a eu des étapes difficiles dans ce processus ?

 

Dans l'abandon de confort ? Absolument pas ! Parce qu'on a un autre confort et c'est un vrai confort. Ca n'a jamais été, on n'a pas de confort parce qu'on n'a pas les moyens, du tout.

 

 

Sur votre activité aujourd'hui, vous accueillez à peu près combien de personnes par an ?

 

Aléatoire, non, ça varie entre 100 et 130 personnes par an. Au bout de trois ans d'activité, c'est relativement stable. Cette année, on a eu 100 plutôt que les 130 habituels. C'est à cause des problèmes de sécheresse en France, le terrorisme au Maroc. Nous avons une logique de travail de bouche à oreille essentiellement, 60% des gens qui viennent à peu près. Donc ça nécessite une certaine régularité dans le travail, pas raconter de connerie, pas vendre le thé trop cher, ça nécessite un ensemble de choses qui fait que les gens reviennent, puis ils nous envoient d'autres gens. Nous, on le fait véritablement par amour aussi. On est content de faire ça.

 

 

En terme de nuitées ?

 

500 nuitées, c'est pas mal. Sur des longs séjours essentiellement.

 

 

L'accueil se caractérise comment ?

 

C'est axé sur la découverte des gens, du lieu... Du paysage bien sûr mais beaucoup plus des gens. Essayer d'expliquer certaines choses ou du moins donner des clés pour comprendre.

 

 

Les gens que vous recevez sont toujours déjà sensibilisés ?

 

Ca reste des réseaux de gens qui sont soit paysans, ou qui sont proches de la terre, qui ont une alimentation relativement naturelle, sans parler de bio, avec peu de saloperies dedans, qui refusent quand même un tas de choses. Du moins, c'est ce qu'on croie ou alors les gens sont faux jetons. On appartient au réseau Accueil Paysans, des gens qui bossent bien, qui sont sensibilisés. Des paysans ont pris en charge enfin leur agriculture et leur activité d'accueil. Il y a très peu de salariés dans l'association, la dynamique est faite par les bénévoles.

 

 

Et pourquoi vous vous êtes branchés sur ce réseau-là ?

 

C'est un moyen de se faire connaître bien sûr, mais vraiment, c'est l'esprit, puis le fonctionnement qui fait que tu gardes une grande indépendance puisque le gîte, c'est toi qui continue de le gérer. C'est pas comme une agence qui organise pour toi. Dans la relation, c'est direct et c'est bien. Pour reparler de ce truc équitable, le tourisme équitable ou que sais-je encore, c'est qu'à un moment donné, l'équité, elle pousse l'homme à faire des conneries. Le gars qui fait du tourisme équitable à condition que tu aies 30% qui reviennent au muletier, il y a un problème déjà, c'est que la gars qui ne vit pas là, qui ne connaît pas l'organisation sociale, il va déséquilibrer à un moment donné. Si un muletier est payé tel prix à ce jour, il n'y a pas de raison de l'augmenter. Le mec, il bosse 10 jours par an et son collègue qui bosse 20, d'accord. Tu vas taxer le gars : tu vas payer un peu plus, mais tu payes de l'équitable, qu'on lui dit. Mais l'autre, il va avoir quoi d'équitable ? Dix dh, ça va changer quoi sur la vie du muletier. Le muletier va être plus payé que le cuistot et ça va faire la guerre entre eux, puis il n'y a pas de tourisme qui va se passer du tout. Il faut arrêter un peu ce truc là, un peu vicelard. Les nouveaux mecs qui veulent faire du pognon sur l'équitable, ce sont des gens qui vont aller manger des boîtes au sommet du Toubkal. On en voit des gonzes ou des gonzesses qui sont très très bio, mais à fond, jusqu'au sac hein, et il va se promener avec sa bouteille Sidi Ali (NB : eau minérale locale) dans la campagne, pas capable de s'acheter une vraie gourde quoi, traiter sa flotte, de faire un truc, une action quoi. L'action, elle n'est pas uniquement que de rentrer dans le magasin bio. Il y a une profonde nuance pour moi. Alors je me méfie un peu des équitables. Quels qu'ils soient. (rires)

Moi, je dirais que c'est dur de cerner ce genre de choses et de donner des critères qui font que tu rentres dans la cadre du tourisme équitable ou non. Ca limite beaucoup. Le mec commence à se coller une étiquette quoi. Et puis, il y a tous les pignoufs qui font du vrai boulot, c'est Accueil Paysan, c'est le gîte dans le Haut Atlas.

On a été séduit au début par une agence avec publicité mensongère et tu te rends compte finalement que ce sont les mecs qui ramassent les miettes des grosses agences. Donc lui, il veut faire du sur la carte, mais il se plante comme tout le monde. Il fait même moins bien que les autres parce que pour les autres, tu as un fonctionnement derrière, donc tu es pratiquement sûr d'avoir tes prestations. Quand tu vas prendre un truc pour 2700 pour Marrakech et les villes impériales, tu es sûr de les avoir. Mais si tu passes par une agence comme ça, tu n'es pas sûr d'arriver au bout. Le type est allé négocier à un prix très bas, ce qui fait que tu prends un trois étoiles en France sur le papier, tu arrives ici, tu as un deux étoiles parce que l'autre, il a tellement gratté les papiers que l'autre il lui dit "C'est complet, tchao". Les grosses agences sont sûr d'amener 3000 clients par an. C'est  du tourisme poubelle qu'il y a au Maroc. C'est du délire. Ca fonctionne beaucoup autour de ce principe. Il y a beaucoup de tout compris et donc ça rend le tourisme particulier, on fait ce qu'on veut du touriste. La fantasia ! Le touriste est ballotté. Petits massages .. Prostitution ! Dans certains hôtels à Agadir, on recrute des serveurs et des serveuses au physique. On ne refuse rien au client ! Qu'on ne me fasse pas qu'en Thaïlande, on est en train de faire le nécessaire, ça va se reproduire ici sur nos côtes atlantiques marocaines. c'est clair. Non, on est un peu contre ce tourisme !

 

 

 

Comment faire pour sensibiliser les touristes au fait qu'il y a un tourisme plus censé ?

 

Oui, c'est ça, plus censé. Un tourisme qui tombe sous le sens. On parle de relations entre individus...

On l'a dans le baba, on sait très bien que c'est vain. Tu partages des choses avec les gens, tu es sensible.

 

 

Qu'est-ce que vous donneriez comme définition au tourisme ?

 

Echange, moi je dirais. Tourisme, je vois quelqu'un qui est extérieur au pays. Le pays, ça peut être tout petit comme ça peut être carrément un autre pays, et qui a envie de découvrir. Et nous on fait l'intermédiaire.

Moi, le tourisme proprement dit, je vois de l'argent, du pognon. Mais du pognon propre. Relativement propre si on sait juste en prendre soin. Qui peut être propre quoi. Parce que les gens qui se déplacent dans les réseaux en masse, c'est un développement économique propre. Il y a des gens qui s'emmerdent avec leur argent, qui ne savent pas quoi en faire, alors qu'ils aimeraient bien découvrir un tas de choses, et pourquoi pas. Moi, je joue plus sur une économie propre.

 

 

Le fait de proposer ce genre de tourisme au Maroc, qui pour le moment attire essentiellement des Européens, est-ce que ce n'est pas en soi contradictoire dans le sens où il y a de la consommation d'énergie, de la pollution, et où les touristes qui peuvent se le permettre ne le peuvent que parce qu'ils profitent d'un système que vous combattez ? Est-ce que vous avez une solution ?

 

Dans l'esprit, tu ne respectes pas totalement parce qu'il y a le voyage en avion et tout ce que ça comporte, pour venir faire quelque chose de plus proche de la nature, mais finalement à quel prix ? C'est la participation à une économie dont on n'est pas forcément fier et on n'a pas envie que ça continue comme ça. Dans notre expérience, ça peut être aussi égoïste dans le sens où on s'adresse à une population qu'on comprend plus, dont on voudrait qu'elle soit plus présente avec nous. Ca c'est égoïste. On essaie plus de voir aussi comment accueillir des Marocains bien que le problème soit totalement différent. Je crois que ça en vaut le coup quand même.

Moi, je vois une économie, une centaine de gens qui passent ici par an, parce que notre fonctionnement - on n'a pas de véhicule, etc, etc, on n'a pas de prestataire de services, le gars qui bosse avec son 4x4, le boucher, un tas de choses quoi -, on sensibilise les gens sur le fait qu'ils doivent acheter un maximum de choses au souk, ce sera un produit qui sera certainement moins esthétique mais ce sera la personne qui l'aura fabriqué et vendu. On essaie de piquer un maximum de pognon pour qu'il reste ici de manière à ce que ça profite au plateau, pour parler crûment.

 

 

Vous avez aussi une association ?

 

Oui, Akham Nomades. Ca fait plusieurs années qu'il y a plein de pistes qui sont explorées, mais ça manque de dynamique. Peut-être de jeunes comme vous. Il y a plein de vieux, expérience super mais dynamique zéro. Des vieux de France. Akham Nomades manque de jeunes porteurs de projet parce qu'il y a matière. L'objet de l'association, c'est un soutien aux projets de développement, tourisme, économie ... On a voulu faire au plus large car ne sachant pas tellement, ayant l'idée générale, on a essayé de donner les statuts les plus larges d'entrée de jeu. c'est nous qui l'avons créée. Akham Nomades, c'est nous deux. De fait, ça a été un soutien en France, on a eu beaucoup de soutien de par cette association.

 

 

Est-ce que vous pouvez évaluer l'impact que peut avoir le gîte sur M'Rirt et sa région ?

 

A proprement dit, tout se tient en fait. On est dans une phase en ce moment entre le gîte Aïss et l'association, c'est qu'il faut qu'il y ait scission. L'activité du gîte, c'est bon, il a été soutenu, il marche bien. Il faut que Akham nomades ait d'autres objectifs que le gîte. Comme nous, on est le gîte, il n'y a pas de relais derrière, de porteur de projet pour que l'association prenne son envol. Akham Nomades depuis 3 ans qu'elle a été créée, il y a des tentatives, on a ramené 300 bouquins au centre culturel de M'Rirt. C'était assez ciblé par rapport à leur demande, ce sont surtout des lycéens qui la fréquentent. C'était des manuels scolaires quoi. Ca c'était une action parce qu'il fallait en faire une tout de suite mais on a envie de faire des actions un peu plus sur le long terme, de garder un esprit général de développement, quel que soit le thème. C'est à dire dans le respect de ce que tu fais, des gens avec qui tu es. Ca a été par exemple plusieurs rencontres avec les tisserands et je trouve que c'est la meilleure issue qu'il y ait pu avoir, c'est qu'ils créent eux la coopérative. On a été d'un soutien moral au moins pour aboutir dans ce sens. Des fois, tu as besoin de rencontrer quelqu'un. Nous à l'office du tourisme, on a rencontré quelqu'un qui nous a dit : "le gîte, ouais, c'est possible" Elle n'est pas rentré dans les détails car c'est emmerdant quand même, mais c'est possible. "Ca a de l'avenir, c'est une bonne idée, en ce moment le ministère marocain travaille sur ce genre d'initiatives" et puis voilà c'est parti. On serait tombé sur un mec naze, qui aurait fait "Bwof !" ...

 

 

Comment définiriez-vous le développement ?

 

Moi, le développement, c'est surtout l'individu. Moi, ça me parle d'individu développé. L'individu développé, c'est un individu qui a un instinct de survie. Il est là, cet instinct de survie quand on  n'a pas envie de polluer la planète, quand on n'a pas envie de manger mal, quand on n'a pas envie de tuer bêtement, c'est là que je le vois, et nulle part ailleurs.

Moi, comme je l'imagine, c'est arriver à aider, du moins de la façon dont c'est pensé et organisé en France. Ce sont les structures de soutien à des initiatives. Au départ, c'est quand même ça, l'idée générale, même si en fait le fonctionnement ne se fait pas du tout de cette façon là. Après le développement, dans le sud, ça se traduit très souvent par une aide matérielle. Est-ce que c'est vraiment ça qu'il faut faire ? Le développement nous pose beaucoup de questions. En même temps, de quel droit, tu peux te permettre de "développer" les gens ? Il y a des gens qui n'ont rien demandé. Faut les développer pour que ce soient de futurs consommateurs pour les pays occidentaux. Ni plus, ni moins, on rentre dans le cadre du FMI. On te prête pour que tu puisses acheter. Acheter des paraboles ou des machines à laver. Il va acheter quoi le gonze, la Bible ? Saint Exupéry ? Pas du tout ! Il faut qu'on arrête de se foutre de notre gueule ! Tous les mecs qui font du développement participent à l'appauvrissement de la planète. Par contre, régler les déséquilibres économiques, cela aiderait sans doute beaucoup plus. Sanctionner les boursicotages. Ces mecs qui mettent 10 briques et qui en récupèrent 15 un peu plus tard ... Sur le dos de qui ? Des mecs qui bossent ! Parce que cet argent, il vient de quelque part, il n'a pas été pondu par magie. On a volé des mecs. Donc, qu'on arrête de nous mentir ! Nous, dans tout ça, on fait l'apprenti sorcier. On essaie de vivre l'alternative et de transmettre un peu. Je ne m'aventurerais pas à mettre des mots sur ce que je fais parce que justement, c'est en plein débat, parce que nous n'avons pas très bien compris et que nous ne sommes pas sûrs que le fond soit toujours très bien respecté. Et comme on est très très loin de Nostradamus, on fait une activité, on essaie d'en vivre, et on partage ça. On peut tenir 5 mois sans aucune rentrée d'argent, enfin ... Ouais, bah, ouais. (rires) C'est possible. Et là, tu attaques la décroissance ! A fond la caisse ! Tu vis et tu n'as même pas besoin de pognon !