L'Association des Scouts et Guides de Mauritanie
Entretien avec Hamoud ould T'Feil, commissaire général
(Sauf indication, les questions en italiques ont été posées par François)
Peut-on d'abord avoir une présentation du mouvement scout de Mauritanie en particulier ?
Le mouvement scout est un mouvement d'éducation des jeunes; basé sur le volontariat mais c'est une éducation un peu particulière dans la mesure où elle se base sur l'action. Une éducation par l’action des jeunes afin d’en faire des hommes responsables à même de pouvoir accomplir leur devoir envers Dieu, envers autrui et envers soi. Ce sont les trois principes sur lesquels le mouvement mondial est fondé. Donc, à la base, c’est un mouvement d’éducation et il continue à l’être mais puisque le mouvement scout mondial n’est pas déconnecté des réalités des Sociétés dans lesquelles il existe, il ne peut qu’accompagner les aspirations de ces peuples, et par conséquent, il va s’impliquer dans le développement de ces sociétés. Même si il est d’abord un mouvement d’éducation et par là donc, il contribue par ricochet au développement de cette société, car c’est en formant des gens responsables qu’on y contribue efficacement, plus concrètement, il y contribue aussi par des actions. Les mouvements scouts prennent en compte la réalité des communautés.
En Mauritanie, indépendamment de ces missions, en raison de la spécificité mauritanienne, le mouvement joue un rôle extrêmement important dans l’unité nationale. Comme vous savez, la Mauritanie est un pays composé de 4 ethnies. Il y a la communauté maure composée d’arabo-berbère, il y a les Halpoular, il y a les Soninké et il y a les Wolofs. Cette société a l’avantage d’être à 100% musulmane, ce qui est une force pour l’unité nationale dans le sens où au moins, les gens s’entendent sur la religion. Il n’y a pas de tiraillements entre les ethnies en fonction des appartenances religieuses. Mais dans la vie de tous les jours, cette cohabitation n’est pas toujours facile dans la mesure où déjà on parle 4 dialectes, où le système éducatif, quoi qu’on dise, n’est pas si homogène que cela. En général, les négro-africains sont scolarisés en français et les Maures sont scolarisés pour l’essentiel en arabe. Cela a été une raison d’une certaine cassure au niveau de la communication entre les communautés.fort heureusement ces dernières années, il y a eu une réforme au niveau du système éducatif pour que tout le monde fasse la même chose. Les matières scientifiques sont enseignées en français et les matières littéraires en arabe. C’est dire donc que notre mouvement joue un rôle important à ce sujet. C'est-à-dire que c’est à peu près le seul mouvement dans lequel vous trouvez l’ensemble des composantes de cette société. Il y a eu par le passé cette barrière de langue, d’ethnie, qu’on ne retrouve pas dans notre mouvement.
(Matthieu) Dès le début, ça s’est passé comme ça ?
Dès le début ! Je crois que c’est un peu la force du scoutisme aussi de rassembler tout le monde. En tout cas, le mouvement qui est implanté en Mauritanie depuis 1946 a toujours brillé par cette réalité qui est qu’on y retrouve tout le monde. Bien sûr, vous trouvez d’autres associations où vous trouvez tout le monde, mais un mouvement, en tout cas au niveau national qui a cette possibilité d’être présent sur tout le territoire national –au moins dans les chefs-lieux de région.
Par ailleurs, le mouvement, grâce à une aide substantielle des pouvoirs publics, parce que les pouvoirs publics, même s’ils ne subventionnent pas directement les associations, aident beaucoup dans la mesure où ils peuvent financer les projets bien cohérents, bien cogités. Dans la lutte contre l’ensablement, contre le fléau SIDA, dans la lutte contre n’importe quel fléau social ou pour l’alphabétisation ou pour la sensibilisation des populations autour d’une question donnée, les pouvoirs publics financent en général ces projets.
Notre mouvement intervient depuis le début des années 80 dans l’environnement, plus particulièrement dans la composante fixation des dunes, préservation de l’écosystème. Comme vous le savez, la Mauritanie est un pays à plus de 95% désertique, et par conséquent, il y a un travail extrêmement important qu’il convient d’entreprendre pour sauvegarder l’environnement. A ce sujet, il faut mettre au compte de l’association beaucoup d’actions qui ont été entreprises notamment au Brakna, au Trarza et en Adrar, ce sont des régions qui sont très touchées par ce phénomène.
Par ailleurs, comme je vous disais, on intervient aussi dans le domaine de l’alphabétisation de communauté, les scouts interviennent dans le cadre des campagnes annuelles de vaccination organisées par le ministère de la santé et l’UNICEF, pour pouvoir mobiliser les populations. A ce sujet, nous avons déjà fait une méthode assez originale qui nous a valu d’être félicité par l’UNICEF bureau de Genève qui consistait à ce que on confie à chaque scout 10 familles. Chaque scout a un livret avec dix familles dans lequel il note le nombre d’enfants qu’il y a, et qu’il suit régulièrement de 0 à 5 ans. C’est une méthode qui permet de vacciner pas mal de gens car on sait que dans telle famille il y a tel nombre d’enfants et c’est un scout qui en est responsable. Chaque fois qu’il y a une campagne de vaccination, il faut que le scout puisse présenter le livret avec l’émargement du médecin qui a vacciné l’enfant.
Et concrètement par exemple, dans la lutte contre l’ensablement, en quoi consistent les projets ?
A implanter des arbres, à les suivre, les arroser jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Quand ils poussent, cela arrête d’une part l’avancée des dunes et ça crée un environnement pour les populations qui sont à côté. C’est extrêmement important. Je crois que là-dessus, nous avons fait des efforts grâce aussi au Ministère du Développement Rural et de l’Environnement. Nous sommes intervenus dans la ceinture verte de Nouakchott. Il y a eu des interventions de l’état, de la société civile et des scouts en particulier qui ont fait qu’il y a eu des améliorations assez importantes à ce sujet.
Jo : Et en matière d’alphabétisation ?
En dehors des heures de travail, dans les quartiers, on loue une pièce et les gens qui sont analphabètes et qui sont désireux de pouvoir au moins utiliser l’alphabet arabe ou français ou pourquoi pas écrire, procéder à certaines opérations de calcul, les scouts du quartier font du démarchages pour pouvoir les initier à écrire et à pouvoir faire le minimum. L’analphabétisme, c’est quand même une maladie sociale très cruelle qui fait qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent ni lire ni écrire. On voit qu’il y a beaucoup de gens qui sont intéressés par cette prestation.
Jo : Quelles sont concrètement les barrières qui divisent les 4 communautés dans la société ?
Il y a ce problème de langue qui divise les communautés mais à part cela je crois qu’il n’y a rien qui doit diviser les différentes composantes de la société. Les gens se marient entre eux, il y a les mêmes écoles pour tout le monde; les gens fréquentent les mêmes mosquées, les gens fréquentent les mêmes marchés, les gens fréquentent les mêmes dispensaires. Il n’y a que ce problème de langue ou la politisation de ces problèmes au niveau des mouvements négro-africains ou maure, parce qu’il y a des gens qui essayent de récupérer, d’exploiter, cette diversité. Ils l’exploitent négativement au lieu de l’exploiter positivement. Il y a par exemple dans la société maure des courants qui pensent que les négro-africains n’ont aucun droit, qu’ils ne sont pas mauritaniens et qu’il faut les refouler à la frontière, et il y a la même chose du côté des négro-africains. Vous en avez qui pensent que les Maures ne sont pas mauritaniens, que ce sont des envahisseurs qui sont venus de la péninsule arabique. C'est le comble du ridicule. C’est un peu un problème politique qui nécessite que les gens soient sensibilisés au fait que ce qui les divise est beaucoup moins important que ce qui les unit. Il suffit seulement de leur expliquer à nouveau. Et puis d’ailleurs, je pense qu’en Mauritanie, on doit s’estimer heureux car dans certains pays africains vous avez jusqu’à 200 ethnies. Je ne pense pas que le problème des ethnies soit un problème de société. Le problème de société, c’est un problème d’éducation, d’égalité des chances, de démocratie, de justice, d’équité sociale.
A vous écouter, on a un peu l’impression que les Scouts et Guides de Mauritanie sont un peu là plus pour le reste de la Mauritanie que pour eux. On a l’impression que les Scouts et Guides font plus d'activités pour les autres qu’il n’y d'activités pour les Scouts et Guides.
J’ai un peu omis cette dimension mais je pense que pour remplir pleinement cette mission, il faut déjà réfléchir, il faut beaucoup de formation, d’éducation au niveau des scouts. On ne peut pas prendre quelqu'un dans la rue ou à l’école et lui dire « Tu es scout, on te confie l’éducation des jeunes d’un quartier donné », ce n’est pas possible. A ce sujet justement, les scouts ont leur propre stratégie de formation, ils ont leur programme, ils ont leurs compétences qu’ils enrichissent par d’autres compétences au niveau international. C’est vrai que ça n’a pas été facile car les maux sociaux dont je parlais tout à l’heure se sont répercutés sur le mouvement scout.
Le scoutisme est implanté en Mauritanie depuis 1946 par les Eclaireurs de France. Ces éclaireurs venaient dans les colonies et ont implanté le scoutisme en Mauritanie à l'instar des autres colonies de l'AOF. Il a fonctionné tant bien que mal avec certains mauritaniens jusqu’à l’indépendance, jusque précisément 64-65. En 65, nous étions sous le régime du parti unique, il n’y avait qu’un parti pour diriger la Mauritanie. Le parti unique a demandé à ce que tous les mouvements de jeunes se fédèrent dans la composante jeunesse du parti. Le scoutisme étant apolitique, il ne peut pas adhérer à un parti. Les dirigeants du scoutisme de l’époque ont tout simplement décidé de se saborder. Du coup, on ne trouve plus de scoutisme en Mauritanie jusqu’en 1978 date à laquelle; il y a eu renversement du régime unique par un coup d’état militaire. Le scoutisme en profite pour renaître en Mauritanie. Après l’assemblée constituante du mouvement qui s’appelait à l’époque « Association Mauritanienne de Scoutisme », en 1978, en 1979, l’association a été créée. Elle a connu quelques années de prospérité parce que c’était les années de relance du mouvement, elle a touché beaucoup de jeunes, l’époque était très très favorable car au niveau international, les problèmes n’étaient pas posés. Au niveau du monde arabe, on pouvait envoyer 60 ou 80 jeunes en Irak, en Algérie ou en Libye ou ailleurs grâce au concours de ces pays frères. L’équipe élue en 1979 n’a pas pu tenir l’AG ordinaire au bout de son mandat de 4 ans et très vite les problèmes ont commencé. Les mouvements politiques clandestins, les mouvements nationalistes arabe, nationalistes négro-africain ont essayé de récupérer l’association et du coup, nous avons connu des problèmes. Le mouvement était politisé. Nous avons végété dans ces problèmes jusqu’en 90-91. Déjà en 87, le ministère chargé de la tutelle, le Ministère de la Jeunesse et des Sports a allégué le fait qu’il n’y avait pas eu d’AG depuis l’AG constituante de 1978 pour nommer lui-même une équipe, un conseil national. Le scoutisme n’admet pas que le pouvoir public s’immisce dans ses problèmes internes. C’était quand même assez rare puisqu’on avait parachuté à la tête du mouvement des gens qui ne connaissaient rien au scoutisme, qui ne fichaient rien de ce mouvement. En 88-89, les problèmes ont commencé au niveau de la nouvelle structure.
C'est dans ces circonstances particulièrement inquiétantes pour le scoutisme mauritanien qu'une équipe composée de jeunes de ce qu'on appelait à l'époque la haute patrouille est partie en France solliciter l’appui des Scouts de France pour nous aider à faire renaître le mouvement. Il y avait eu une assez longue léthargie qui avait fait que les potentialités dont il disposait s’étaient soit intéressées à autre chose, soit ont été découragées par la situation léthargique et conflictuelle dans laquelle l’association végétait. En 91, les Scouts de France ont répondu favorablement. On a mis en place un programme de 2 ans qui n’a pu réellement se mettre en place qu’à partir de 92. Nous avons essayé d’unir les différents jeunes, nous avons réussi à tenir une situation de compromis qui fait que nous avons réussi à tenir une AG dans laquelle tout le monde était représenté. Depuis lors, nous avons continué à connaître certains problèmes jusqu’à ce que la dernière AG, celle de 2001, a réussi à mettre en place une structure dans laquelle il n’y a que des scouts. Les AG précédentes se faisaient en fonction de certains compromis pour sauver le mouvement.
Pour répondre à ta question, nous avons nos propres programmes de formation qui profitent exclusivement aux scouts. Ils sont faits soit directement par l’association, soit; de concert avec nos différents partenaires, notamment les Scouts de France ou la région arabe du scoutisme qui interviennent donc pour apporter certaines compétences. L’association sur ce point connaît certaines difficultés car nous manquons de cadres, de compétences. Nous sommes une petite équipe, 5 ou 6 seulement qui gérons le national. Les autres manquent de disponibilité pour l’association ou ont des problèmes qui font que l’association manque de compétences au niveau des ressources humaines. Récemment nous avons conclu un accord avec les Scouts de France qui fait qu’ils peuvent nous aider sur deux plans. D’abord la formation de responsables nationaux et secundo la conception et la mise en place de propositions éducatives par branche, savoir ce qui pour chaque âge peut être proposé aux jeunes. Le problème du scoutisme à travers le monde, et pas seulement en Mauritanie, c’est que ce quand les jeunes viennent au scoutisme, ils sont très intéressés au début. Au bout d’un certain temps, tout ce que tu as comme savoir, tu le leur donnes.Mais si tu n'apportes rien de neuf qui puisse continuer à les intéresser, ils préfèrent aller découvrir autre chose; d'où l'effritement des effectifs. A cet égard les propositions éducatives doivent être reformées pour pouvoir apporter, des réponses aux attentes des jeunes et les accompagner dans leurs besoins en perpétuelle évolution. Qu’est ce que les jeunes désirent savoir ? Quand tu apportes des réponses positives à leurs questions, tu continues à avoir des jeunes dans le scoutisme. En France, en 90-91, les Scouts de France étaient 120 000. Cette année, ils m’ont dit qu’ils étaient seulement 60 ou 70 000, donc il y a eu une véritable régression. Peut-être pas à cause des propositions éducatives parce que je sais qu’en France, on réfléchit beaucoup et de façon continue sur ces aspects. D'autres raisons peuvent éventuellement expliquer ce phénomène qui doit certainement être conjoncturel.
On a oublié de vous demander les chiffres.
Vous savez, on ne peut pas donner un chiffre précis des scouts en Mauritanie. On estime ça à 2500 scouts et guides en Mauritanie. Chez vous, quand je pose cette question aux Scouts de France, ils me disent « on est tant car il y a tant de cotisants », or cette pratique de cotisation n’est pas rentrée dans les mœurs du scoutisme dans beaucoup de pays, et particulièrement chez nous en Mauritanie. C’est aussi le problème au Sénégal, en Côte d’Ivoire, or on ne peut pas concevoir un scoutisme sans cotisation. Les jeunes doivent être habitués à cotiser. C’est très modique, ce n’est pas avec cela qu’on va financer nos projets, ou payer nos cotisations au bureau mondial ou arabe; mais cela permet d'avoir la satisfaction morale qu'on contribue d'une manière ou d'une autre aux charges de son association. Il faut que chacun contribue en fonction de ses moyens à l’épanouissement de l’association à laquelle il adhère. Alors si on raisonne en terme de cotisations, je crois que nous en avons une vingtaine adhérents. Ce sont les membres du Conseil National qui cotisent d’ailleurs de temps en temps, parce que ce n’est pas toujours régulier, et en terme d’adhérents théoriques, nous avons à peu près 2500 à 3000 adhérents scouts et guides. Ceci dit, ces deux dernières années, il y a une évolution notable du scoutisme, notamment à Nouakchott, au Brakna et en Assaba; donc dans quelques wilayas bien précises, et d’ailleurs, ce qui est encourageant maintenant, c’est qu’on connaît maintenant la naissance de groupes scout. Pas moins de 15 groupes à Nouakchott, chacun de 10, 15, 20 scouts, et puis il y a une saine émulation entre les groupes qui fait qu’on a une lueur d’espoir quant à l’avenir du scoutisme. D’abord parce que ce qui est fait maintenant est fait sur de bonnes bases, plus précisément la patrouille, l’unité et le groupe, ce qui est la base du scoutisme. Sans patrouille, il n’y a pas de scoutisme.
Vu de France, on se dit que dans les pays arabe, la position de la femme n’est pas forcément facile. Est-ce que pour les guides de Mauritanie, il y a quelque chose de particulier ?
La Mauritanie a la chance quand même de ne pas connaître ce problème. A l’instar des autres pays arabes où la femme est considérée comme moins que rien quand même, la femme mauritanienne est assez émancipée. Ce n’est pas dû à une politisation, c’est la nature du mauritanien qui est comme ça. La femme, compte tenu des conditions difficiles du pays, l’aridité du climat, la femme a toujours été appelée à travailler. Soit dans le labour des champs, soit pour assister les bergers, elle a toujours eu une fonction. Par conséquent, cette fonction a fait qu’elle n’a pas été reléguée au second plan, elle a toujours eu sa place. Au niveau des guides, le problème ne s’est pas tellement posé. Il se pose dans certains milieux religieux, par exemple, chez les marabouts qui ne veulent pas que leurs filles puissent partir dans des mouvements comme ça. Il faut dire aussi que le problème du scoutisme dans nos pays et notamment en Mauritanie est que nous avons eu du mal au début à l’implanter parce que les gens que puisque le scoutisme a été créé par un chrétien, il n’est pas bon pour un musulman. Le scoutisme était pour eux un mouvement de chrétiens ou un mouvement qui a été implanté par les Européens dans une mission précise. Il a fallu beaucoup expliquer aux gens les avantages du scoutisme, il a fallu faire beaucoup de campagnes pour expliquer aux gens que dans le scoutisme, on croit en un Dieu, mais il n’est pas forcé d’être chrétien ou musulman ou juif pour être scout. C’était un problème de compréhension, de présentation du mouvement.
Par rapport à votre question, il y a je crois certains milieux, mais pas seulement pour le scoutisme, il y a des gens qui ne veulent même pas que leurs filles aillent à l’école, mais heureusement, c’est une minorité, et c’est dans des endroits très circonscrits par ce que c’est en général dans des endroits très éloignés des villes, où on continue à penser que la femme doit procréer des enfants, elle doit rester comme on dit, qu’elle doit vivre de son domicile à son tombeau, qu’elle n’a pas de place en dehors de son foyer ou du cimetière.
Les rapports sont parfois difficiles entre le scoutisme et les autorités religieuses ?
Non. Nous avons grâce au concours de certains savants, qui sont quand même assez célèbres dans ce pays, l’apport de leurs témoignages sur le scoutisme et cela nous a beaucoup aidé parce que certains, dont des références nationales, ont apporté des témoignages très positifs sur le scoutisme. Il y a toujours eu, vous savez, des problèmes dans les sociétés musulmanes entre les différents interprètes de la religion. Ils sont tous savants mais ils ne sont jamais d’accord sur beaucoup de choses, ce qui fait que ces débats contradictoires sur la religion servent aussi l'individu. Si quelqu'un vous dit que le scoutisme est interdit, il y aura quelqu'un d'autre qui vous dira que le scoutisme est la meilleure des choses, donc il y a ces circonstances atténuantes. Je ne pense pas que le problème soit cela, c’est surtout un problème de mentalités qui fait que le volontariat décline dans ce pays. Les gens sont surtout orientés vers tout ce qui est lucratif et puisque le scoutisme est un mouvement de volontaires … Les gens ne cherchent pas à servir gratuitement leurs semblables. Bien sûr vous allez trouver des gens qui trouvent que c’est la meilleure des choses et qui vont donner de leur temps et de leurs moyens pour les autres, … Mais cela, c’est valable pour tout le monde, pas seulement pour la Mauritanie.
J’aurais une dernière question sur la dimension internationale du scoutisme. Vous nous avez parlé plusieurs fois de la région arabe, des Scouts de France … Qu’est ce que cette dimension internationale vous apporte et qu’est ce que vous, les scouts mauritaniens, apportez à la dimension internationale ?
Nous sommes membres de la région arabe. Le scoutisme est organisé en 5 zones, 5 bureaux. Quand il y a naissance d'association dans un pays, elle est tenue d'adhèrer à un bureau régional : le bureau arabe, le bureau européen, le bureau américain, ou le bureau africain. La Mauritanie est donc membre de la région arabe du scoutisme.
Qu’est ce que la région arabe du scoutisme apporte aux scouts de Mauritanie, et qu’est-ce que nous, nous apportons à la région arabe ? Dans ce bureau, nous retrouvons des experts dans les différents domaines du scoutisme. Tu vas les retrouver comme formateurs, spécialiste du développement communautaire, ou spécialiste de certaines questions qui peuvent intéresser les mouvements. Le bureau arabe met à disposition des associations membres son expertise. Le bureau arabe n’a pas les moyens de pouvoir apporter un sou aux régions à part donc cette expertise qu’il met à disposition. Déjà, il fournit un effort extrêmement important dans la mesure où il prend en charge les formateurs qu’il envoie dans chaque pays. Il est basé en Egypte et à chaque fois que l’ASGM sollicite une formation, le bureau arabe répond présent et prend en charge, le transport et même le reste des frais sur place.
Par rapport aux Scouts de France je crois que le partenariat s’inscrit dans ce que nous pouvons qualifier de culture de la paix et de la solidarité internationale. Parce que chaque année, depuis les années 82-83, nous recevons des groupes compagnons scouts de France. Chaque année nous recevons au moins 4 ou 5 groupes. Ce sont des groupes qui vont vivre un camp avec des scouts ou des guides mauritaniens et ils s’échangent leurs cultures réciproques, ils échangent des idées, ils se connaissent et du coup, ils remettent en cause les barrières qui existent entre les cultures. Ca permet donc de contribuer à la compréhension des peuples entre eux, cela permet donc de poser quelques jalons dans la construction de la paix internationale et je crois que nous en avons besoin. Les peuples ont besoin de dialoguer entre eux. Je crois que les cultures doivent parler entre elles et les scouts ont en ce sens beaucoup d’avance sur les autrescomposantes de la société civile et même sur les gouvernements. Nous avons par exemple les rencontres entre cultures que les Scouts organisent chaque année, il y a cette manifestation de rencontre entre les scouts des trois religions. Des chrétiens, des musulmans, des juifs, cette année, c’était à Séville en Espagne.
L’essentiel donc, c’est que les scouts participent à la compréhension entre les peuples à travers le monde, qu’ils contribuent à la culture de la paix et cela ne peut se faire qu’avec la communication entre les gens. Nous avons des capacités de réflexion, mais elles vont être altérées, diminuées, si nous n’avons pas intégré cette culture de paix depuis notre enfance. C’est pourquoi il est important d’inculquer aux enfants dès leur plus jeune âge que le pardon est nécessaire, que les étrangers sont nos frères, que les petites différences de langue ou de peau ne nous séparent pas, que les problèmes du monde nous interpellent tous, que la paix dans le monde ne peut pas être garantie par les armes, loin de là, qu’elle ne peut pas être garantie par un groupe donné mais que c’est la contribution de tous qui est nécessaire pour cela. Je crois qu’à ce sujet les Scouts font beaucoup de chose. Les Scouts de France particulièrement et les Scouts et Guides de Mauritanie interviennent beaucoup pour accomplir cette mission.
A chaque fois que des compagnons passent, à la fin de leur mission, moi je leur pose cette question : « Qu’est-ce que vous avez appris en Mauritanie ? » Ils sont partis avec quel esprit et ils reviennent avec quel esprit et c’est toujours très positif.
Même si les mauritaniens n’ont pas autant d’argent que les Scouts de France, cela n'exclut pas que les scouts et guides de Mauritanie ont beaucoup de choses positives à apporter aux scouts de france. C’est comme cela que la solidarité internationale se construit. D'ailleurs le séjour des compagnons en Mauritanie leur permet de revenir aux vraies valeurs scoutes et moi je crois que vous devriez dire plus souvent aux Scouts de France qu'ils ne doivent pas oublier l’importance de la patrouille !
[rires de Hamoud et François – Incompréhension de Matthieu et Jonathan]
Chacun au sein de la patrouille a une mission. [intervention de Maata, trésorier de l’ASGM] L’essentiel, c’est que la patrouille créé un climat d’amitié et de confiance, parce qu’ils sont obligés de travailler et raisonner ensemble. Quand il y a une mission à réaliser, la patrouille va entrer en réunion. Il y en a un qui va présider la réunion et là chacun va avoir le droit, pas seulement de dire ce qu’il veut mais aussi avec toute une liberté, raisonner complètement mais aussi écouter, responsabiliser. Tu parles, mais aussi tu écoutes, et tu apprends à accepter la majorité.
[Hamoud] La question est extrêmement importante effectivement, et vous en Europe, malheureusement, vous êtes en train de laisser tomber dans vos pédagogies et vos pratiques la patrouille. Peut-être que cela ne répond plus à vos besoins mais personnellement je fais partie de ce qui pense que sans cette celulle de base le scoutisme serait tronqué de l'essentiel de son organisation.
(Matthieu) Une patrouille donnée va mener une action pour une action donnée, c’est cela ?
C’est d’abord une auto-éducation pour la patrouille. Effectivement, chaque groupe, chaque unité, chaque patrouille, doit avoir son projet.
(Matthieu) Et vous, votre degré d’implication là-dedans ?
On ne fait qu’accompagner, que responsabiliser. Nous, notre objectif, c’est de responsabiliser l’enfant, et quand on dit responsabiliser, je crois qu’il ne faut pas les habituer à recevoir des ordres. Il ne faut pas les habituer à recevoir des ordres ou à les exécuter. Il faut permettre à l’enfant, dès son plus jeune âge, de pouvoir réfléchir. Je crois que vous les Européens, à ce sujet vous connaissez quand même beaucoup déjà. Dans vos familles, vous êtes des patrouilles scoutes ou à peu près ça ! Et ce n’est pas le cas chez nous. Et ce n’était pas le cas chez vous au début du siècle dernier quand Baden-Powell avait créé le mouvement. Les enfants n’avaient presque pas de droit. En tout cas, en donnant des ordres, on ne forme pas à devenir des hommes responsables. Nous, on ne fait qu’accompagner. Bien sûr, parfois nous orientons parce que les enfants, il y a des choses qu’ils ne connaissent pas. Il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire en fonction de leur maturité, donc on est obligé de les orienter mais même dans ce cas, nous voulons que cette idée soit la leur. Il faut que nous expliquions de façon pertinente de façon à ce que chacun s’approprie l’idée.
Il y a beaucoup de projets en ce sens en Europe, je vois par exemple le parlement des enfants. C’est important.
En Mauritanie, il y a beaucoup de choses à faire sur ce plan, le scoutisme a de longs jours devant lui !